Nous sommes le 8 décembre, il est 9 h 29, j’arrive dans la salle d’attente d’un service hospitalier. Ce n’est ni pour le travail ni par plaisir ; je dois subir une intervention chirurgicale en ambulatoire. Avant ça, il m’a fallu passer quelques étapes avec :
- le chirurgien ;
- l’anesthésiste ;
- le secrétariat, la veille, pour vérifier si j’avais bien lu les consignes reçues par SMS un peu plus tôt.
Bon élève, j’ai lu les consignes et les ai toutes appliquées, y compris une consigne orale rappelée : « Merci d’arriver un quart d’heure avant l’heure du rendez-vous ».
Je respecte aussi la consigne envoyée par SMS : « Allez-vous assoir directement en salle d’attente, ne passez pas par l’admission, nous viendrons vous chercher ». Plus de 15 personnes sont assises, patients et accompagnants. À peine assis, j’ai envie de comprendre combien de temps il me faudra attendre. J’essaye de deviner qui sont les patients. Pour certains, c’est facile, le stress se lit sur les visages. Je formule l’hypothèse que 8 sont arrivés avant moi.
À tour de rôle, plusieurs infirmières arrivent et nous appellent. La salle se vide progressivement même si d’autres personnes arrivent encore. Un panneau m’interpelle. Ayant le temps, je fais quelques pas pour le voir de plus près. Il s’agit d’une information sur le niveau de satisfaction des patients. Il indique entre autre :
- La note moyenne : 7,7/10,
- La qualité des soins : 8,6/10.
Je ne sais pas vraiment quoi en penser ; je ne suis pas certain que cela me rassure. Je regarde ce tableau avec curiosité. Il comprend également d’autres évaluations : l’accueil, le repas, la chambre.
À 10 h 21, on m’appelle enfin. Une infirmière m’emmène dans une petite pièce. Avec beaucoup de bienveillance, elle checke mon état (tension, température), les documents, les consignes en particulier l’hygiène (douche, brossage de dents) et si une prise de sang est nécessaire.
À cette étape, mon cas est simple : consignes appliquées et pas de prise de sang. Il est 10 h 35, l’infirmière me conduit dans une chambre 20 mètres plus loin, me donne les vêtements adéquats pour les enfiler et m’invite à patienter. Elle m’indique qu’un brancardier viendra me chercher à 11 h 30 pour la descente au bloc. Je lui pose alors cette question avec un sourire :
« Pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous m’avez convoqué aussi tôt si c’est pour me faire attendre autant ? »
Elle me répond également avec le sourire : « Pour certains patients, nous avons besoin de plus de temps. Les consignes données ne sont pas appliquées et il faut une prise de sang. »
Je ne peux m’empêcher de penser qu’en prenant de suite l’information, c’est-à-dire dès l’arrivée des patients, on gagnerait tous du temps. Je garde pour moi cette première réflexion.
À 11 h 45, le brancardier tape à la porte, se présente avec un sourire et me demande si je suis apte à marcher. Nous prenons ensemble la direction du bloc en échangeant quelques mots. Nous stoppons dans le sas d’entrée, il me fait assoir, me demande d’enlever les sur-chaussons et me présente du gel hydroalcoolique pour me laver les mains.
Une infirmière arrive dans la foulée. Elle esquisse un sourire derrière son masque, se présente, m’explique qu’elle va s’occuper de moi et me demande si j’ai pris une douche et me suis lavé les dents. Suite à ça, nous marchons quelques mètres. Elle me fait assoir dans un fauteuil situé dans le couloir, à côté du matériel et d’une horloge. Avant de partir, elle me demande si je souhaite une couverture, je lui réponds gentiment « oui », elle revient 3 minutes plus tard en s’excusant du délai.
Les minutes passent. Les allers-retours du personnel pour prendre du matériel sont nombreux. Une infirmière court. Une autre ne trouve pas le matériel adéquat, elle demande de l’aide à qui veut l’entendre, quelqu’un lui répond. Quelques minutes s’écoulent, 2 infirmiers viennent me voir. Ils ont également le sourire derrière leurs masques. Il me pose quelques questions, notamment : « Avez-vous pris une douche ? » Sans attendre la question suivante, je m’empresse de leur indiquer que je me suis lavé les dents. Ils en rient puis l’un d’eux m’explique que s’ils prennent cette précaution, c’est pour que l’anesthésiste ne soit pas trop embarrassé. Ouf, a priori, il n’y a rien de personnel…
À la suite, je me permet une question :
« Je suis impressionné par les allers-retours incessants. Avez-vous déjà pris le temps de mesurer vos kilomètres journaliers ? »
Réponse : « Oui, on marche entre 8 et 12 kilomètres par jour. On descend à 4 lorsque l’on passe 6 heures au bloc pour les grosses interventions. »
Là aussi, je pense à tous ces kilomètres inutiles, qui doivent générer des temps d’attente au bloc. Quel gâchis et quelle menace potentielle en cas d’urgence !
Quelques minutes plus tard, le chirurgien vient à son tour, lui aussi arbore un sourire. Muni de ses notes, il checke avec moi l’intervention toute proche. Puis, je lui exprime ma surprise quant aux nombreux déplacements, au personnel qui court ou qui ne trouve pas le matériel. Il m’indique qu’il en est conscient, qu’il partage le bloc avec d’autres, qu’il attend beaucoup et se sent peu efficace. La conversation finie, il part se préparer.
Je me dis alors que le bloc doit être l’étape qui fait goulet d’étranglement. Quelques observations et calculs permettraient facilement de le savoir. Je me questionne :
- le personnel le voit-il de cette façon ?
- Et ces gens qui courent comprennent-ils l’impact de leurs temps de déplacement et de recherche sur le goulet ?
J’ai également cette pensée :
- avoir un buffer devant le goulet
,c’est bien, mais cet endroit n’est pas idéal. Être installé au calme avec la possibilité d’écouter de la musique ou de parler de tout et de rien, ce serait mieux.
Il est 12 h 21, je pars au bloc…
13 h 40, me voilà en salle de réveil. Là aussi j’ai une horloge à vue. J’émerge progressivement. À 14 h 00, je suis bien réveillé, je regarde les patients autour de moi et le personnel qui s’affaire. Le stress est perceptible, face à moi une patiente ne va pas bien. Une infirmière réclame des poches qui n’arrivent pas et un médecin pour comprendre la situation.
Une autre infirmière paraît surprise de voir trop de personnes bien réveillées encore présentes alors que d’autres lits doivent arriver. Elle le fait savoir haut et fort. Un infirmier lui répond que les brancardiers ne remontent plus les patients en chambre, ils n’ont à priori plus de place. À 14 h 24, un brancardier arrive, c’est mon tour. L’infirmière avance mon lit jusqu’à lui et me prévient : « Désolé, mais vous allez assister à une dispute ». La dispute n’a finalement pas lieu. En chemin, j’échange quelques mots avec le brancardier. Il m’explique calmement qu’il y a tellement de monde qu’il ne sait plus où mettre les patients et que ça le met en colère. Malheureusement, je n’ai pas la présence d’esprit de lui demander pourquoi. Dans tous les cas, voici un autre sujet à creuser.
Le reste se passe comme je m’y attends, je sors finalement vers 16 h 30, soit au bout de 7 heures au lieu des 5 heures initialement annoncées par le chirurgien lors de notre première rencontre.
J’en retiens :
- à chaque étape, j’ai trouvé un personnel médical souriant, à l’écoute, empathique, donnant le sens malgré peu de disponibilité (en dehors de l’opération) ;
- le processus est défaillant. Il suffit de s’arrêter, d’observer pour comprendre que les opportunités sont nombreuses de réduire les gaspillages et d’augmenter la part de temps pour prendre soin du patient ;
- le personnel ne prend pas le temps de s’en rendre compte. Il court constamment, jour après jour et reproduit les mêmes gestes et étapes qui génèrent les mêmes conséquences, stress et délai.
Alors, fatalité ou pas ? On s’arrête un peu et on en parle ? Qu’en pensez-vous ?